mardi 18 novembre 2014

89. Changements

Pas d'évolution positive.

Mon père entend des voix, maintenant.
Le psychiatre a quadruplé la dose de neuroleptiques.

Ma grand-mère fait des crises d'hystérie, ma mère pose une journée de travail pour l'accompagner chez le médecin, elle refuse parce qu'elle ne se sent pas, ma mère s'énerve, ma grand-mère lui hurle dessus, et lui dit qu'elle n'avait qu'à la garder chez elle.

De mon côté, comme à chaque fois qu'il y a une angoisse, Mia revient me rendre visite.
L'obsession du corps.
Si je ne peux rien faire pour aider ma famille, qu'il y ait au moins une chose que je puisse contrôler. Mon corps. Ma faim.
L'avantage c'est que je suis consciente de l'arrivée de la crise. Je sais pourquoi elle revient. Aujourd'hui, là, maintenant. Pourquoi, alors que je ne suis plus montée sur une balance depuis des mois, j'en refais une obsession quotidienne. Savoir, c'est déjà avancer. Il faut maintenant que j'arrive à surpasser ce stade et dégager tout ça. Pas évident.
Je comprends pourquoi il est si difficile de guérir de l'anorexie.
Ce matin, en me regardant dans le miroir, j'avais l'impression de me voir, à l'époque où je pesais 12 kilos de plus. Mes jambes me paraissaient énormes, mes cuisses ridicules. Je me suis forcée à me dévisager un moment. Il y avait ce duel, ce combat entre mes yeux et mon cerveau.
Mon cerveau qui sait, lui, que ce n'est pas vrai. Qui sait quel chiffre s'affiche sur la balance, qui sait pourquoi les pantalons ne serrent pas.
Et mes yeux, mon regard, ma vision, totalement biaisée par les problèmes qui s'accumulent et me renvoie une image négative, déformée, faussée.
Et je me suis dit, si j'étais seule, si je n'avais pas déjà vécu, souffert, regretté toutes les conséquences de la boulimie vomitive, si je n'avais pas grandi et réfléchi à ça, peut-être que je serais replongée dedans.

Mais je me raisonne. Comme je peux.

En attendant, il va y avoir un changement. Un grand.

Des changements ont eu lieu au niveau du système de mutation. Je peux muter cette année.
Et vu à quel point je pète un cable dans mon collège (et on est plusieurs), je me dis qu'il est temps de partir.  Le green-eyed man n'en peut plus de son travail et n'est pas heureux, alors pour lui, ce serait bien. Apparemment, démissionner, être au chômage quelques temps puis retrouver un travail, ça ne semble pas l'inquiéter plus que ça. Bizarrement, ça ne m'inquiète pas non plus.

Ce qui m'inquiète c'est ce système de merde de mutation.

Je pourrai sans doute avoir l'académie que je veux (Reims ou Dijon).
Mais à l'intra ?

Donc,
il va me falloir impérativement avoir le permis.

Et ça les gars, cette fois, je suis o-bli-gée.

Donc putain,
ça c'est du changement.

Je vais essayer d'y retourner dès demain.

Je vais sans doute me faire bizarrement voir par la dame, genre, hey, j'me suis inscrite y'a 3 ans, je peux revenir ?
Mais bon.
Tant pis. J'ai appris à me moquer de l'opinion des gens.

mercredi 12 novembre 2014

88. Peur

Je n'ai pas envie de tout détailler. Ce serait bien trop long, compliqué, désagréable.

Mais j'ai besoin de l'écrire. Ce n'est pas forcément pour en parler. J'en parle déjà beaucoup trop.
Il faut juste que je l'écrive.

Mon père est malade.
De la tête.
D'un coup, comme ça.
Ca a commencé par une discussion, pendant que j'étais chez eux, en vacances. Une discussion qui s'est prolongée, qui m'a mise mal à l'aise. Je ne reconnaissais pas mon père.

On parle de délire paranoïaque. Délire de persécution.
Schizophrénie soudaine, puisque ça peut arriver.
Un scanner cérébral est prévu, histoire de mettre de côté toute raison physique.
Arrêt de plusieurs semaines, séances chez le psychiatre.
Il ne sort plus ou presque, se sent persécuté, regardé. Il a besoin de ma mère pour sortir et traverser un parking. Il n'y a plus de filtre. Il parle de tout, remonte loin, très loin, du temps où il avait 4 ans, et toutes les rancoeurs à l'égard de son père remontent. Mon père n'a jamais été très bavard, mais là, plus rien ne l'arrête. L'armée, l'école, la guerre, la librairie, mon frère et son grand-père, la peur, tout se mélange, les gens le regardent, lui sourient, tout ce qu'ils font, c'est pour lui, ils le connaissent, ils parlent de lui, toujours, tout le temps, partout. Lui et ma grand-mère ne sont pas allés sur la tombe de mon grand-père. J'ai eu envie de pleurer. Mon grand-père avait beaucoup de torts, je pense. Mais je l'aimais profondément.

Ma grand-mère maternelle, hospitalisée à sa demande, a exigé de sortir, même si ses douleurs ne vont pas mieux. La hanche, le dos, le bras. L'obésité et la vieillesse, un mauvais combo. Le nouveau traitement a déclenché à nouveau des crises de paranoïa, elle aussi. Pourquoi est-ce que ma mère lui achète des fleurs blanches, hein ? Qu'est-ce que ça veut dire ? Elle s'énerve, et pleure, et crie, et fait des caprices, et se plaint. La vieillesse, et le cerveau qui rajeunit.

Je déteste ma ville mais en ce moment, oui, j'aimerais y être, pour être avec ma mère qui gère tout ça.

Elle m'a dit qu'elle allait aller au cinéma, seule, parce que mon père avait peur de sortir et qu'elle avait malgré tout besoin de sortir, elle. Ca m'a brisé le coeur.
Ce qui est horrible, avec les gens malades, c'est qu'on ne peut pas leur en vouloir de rendre les autres malheureux. Ils ne s'en rendent pas compte. Ils ne savent pas. Ils ne réalisent pas.

L'égoïsme enfantin de mes grand-mères, les hallucinations de mon père, et ma mère, au milieu de tout ça, qui travaille, fait les courses pour tous, va à la clinique voir sa mère qui l'engueule, cuisine, fait la maison, appelle les psychiatres, les docteurs, et qui est toute seule.
Alors, elle n'est pas réellement seule. Mais vous me comprenez.

Elle peut avoir certains défauts. Mais elle reste ma mère, et j'aimerais qu'elle soit heureuse.
Vraiment.
Mais elle ne l'est pas. Je ne peux rien faire de concret pour l'aider.
Et ça me mine. Profondément.

Alors,
mon travail me dégoûte de plus en plus,
et je les supporte de moins en moins. Je n'ai plus envie de rire ou sourire avec mes collègues, et à chaque fois que je croise cette p... qui voulait faire de p... de voyage de merde, j'ai envie de lui cracher dessus. Je n'ai plus du tout envie d m'occuper de ça, mais ma mère m'a appris qu'on devait tenir ses engagements. Ne pas faire à autrui ce que je ne voudrais pas qu'on me fasse.
Respecter ce qu'elle m'a enseigné, c'est la moindre des choses, pour elle.
Je fais mon travail, comme elle fait le sien.
Le mieux possible, mais sans en faire plus.
J'évite mes collègues au maximum parce que je ne supporte pas les discussions de merde qu'ils ont.

J'essaie de me raisonner.
Il y a pire.
Vraiment pire.

Oui mais merde.
Des fois,
les autres je les emmerde.

Je voudrais que mon père aille bien,
que mes grand-mères ne fassent plus de caprices,
que ma mère soit heureuse.

Je voudrais que ma famille aille bien.

Un souhait énorme.